• Le feuilleton de la succession de M. Roverato à la tête d'Eiffage laisse des traces

    Lorsque, le 18 avril, le groupe espagnol Sacyr Vallehermoso annonce qu'il se retire d'Eiffage après avoir cherché à contrôler le groupe, Jean-François Roverato, le charismatique patron du troisième groupe français de BTP, peut savourer son succès. Pour la troisième fois, il a sauvé "son" entreprise, après lui avoir évité une prise de contrôle par la Générale des eaux, en 1990, et une quasi-faillite, en 1995. Mais, paradoxalement, cette nouvelle bataille menée de main de maître a révélé les limites du système Roverato. Sa succession mal maîtrisée à la tête de l'entreprise provoque en interne des remous débouchant sur une vague de départs.


    M. Roverato avait choisi dès avril 2006 un dauphin, Benoît Heitz, polytechnicien comme lui, mais le tandem fait long feu. En novembre 2007, M. Heitz quitte brusquement l'entreprise et M. Roverato redevient PDG, "transitoirement", promet-il. Il affirme alors rechercher son successeur hors du milieu du BTP, une première dans ces sociétés très consanguines. Mais c'est finalement Jacques Massé, un fidèle parmi les fidèles, présent dans Eiffage depuis 1976, qui devient, le 15 mai, directeur général adjoint.

    Il s'agit du meilleur ami de M. Roverato qui, par ce choix, souligne qu'il est plus présent que jamais, cumulant les postes de PDG et de directeur des concessions. A la question : "Combien de temps avez-vous l'intention de rester ?", il répond très simplement : "Je ne le sais pas moi-même, mais je resterai à deux conditions : que ma santé me le permette et que les administrateurs le veuillent", et détaille : "C'est le choix de la sécurité et de la continuité, car j'ai senti que le personnel avait confiance en moi et ne voulait pas de quelqu'un parachuté de l'extérieur."

    Mais, aussi bien en interne qu'en externe, ses méthodes commencent à lasser. "Jean-François Roverato s'entête et doit comprendre qu'il n'est pas pape, en fonction à vie", explique Jean-Christophe Lefèvre-Moulenc, analyste chez Natixis. "Massé-Roverato, c'est un peu Poutine-Medvedev", ironise un cadre.

    DÉPARTS ET LIMOGEAGES

    Cette succession ratée n'est pas sans conséquences. L'arrivée de M. Heitz a d'abord fait partir quelques collaborateurs plus âgés qui ont pris ombrage de son ascension éclair. C'est le cas de Jean-Jacques Lefevre, patron de la branche construction, ou de Daniel Calineau, directeur d'Appia, filiale routière d'Eiffage. Puis les choix de M. Heitz ont fait tourner les talons à quelques personnalités, comme Fadi Selwan, directeur des concessions. Le concurrent Vinci a d'ailleurs accueilli plusieurs de ces transfuges. Enfin, des cadres ont emboîté le pas de Benoît Heitz lors de sa sortie, comme Michel Azi, directeur de Forclum, la filiale électrique du groupe.

    Plus récemment, Jesus Contreras, directeur adjoint Europe et pour l'Espagne, a été limogé. "J'ai dû corriger des erreurs de personnes ou des promotions un peu trop rapides", admet M. Roverato.

    La tentative de Benoît Heitz de féminiser l'encadrement et de faire appel à des gens de l'extérieur a donc tourné court : Elisabeth Borne, par exemple, venue de la SNCF pour s'occuper des concessions, a elle aussi été priée de partir. Au total, une quinzaine de collaborateurs-clés ont quitté l'entreprise en dix-huit mois.

    Parallèlement, Eiffage accumule les déboires sur quelques chantiers phares. Celui de l'hôpital de Créteil plombe les comptes de Forclum. La ligne à grande vitesse Perpignan-Figueras prend du retard côté espagnol. Eiffage n'en est pas responsable, mais cela risque de peser sur ses recettes d'exploitation à venir. Le chantier de l'autoroute Pau-Langon n'a toujours pas démarré, bloqué par un avis défavorable de la commission nationale pour la protection de la nature, qui veut préserver les visons d'Europe et les écrevisses à pattes blanches.

    La santé d'Eiffage n'est pas compromise, le carnet de commandes contient de beaux contrats, comme le stade de Lille, et la trésorerie est florissante, après la vente d'une partie du viaduc de Millau et de ses 17 % de Cofiroute. Mais, même si Eiffage s'est sortie des griffes de Sacyr, la succession mal maîtrisée de Jean-François Roverato laissera sans doute des traces.

    Isabelle Rey-Lefebvre
    Article paru dans l'édition du 18.05.08


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